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«Plus vite, plus haut, plus fort… ensemble!»

© GettyImages
Le slogan peut paraître paradoxal: la compétition n’est-elle pas fondée sur le principe «que le meilleur gagne»? Pourquoi la solidarité dans le sport prend-elle plus de place?
David Métreau

«Plus vite, plus fort, plus haut!» En adoptant cette devise pour les Jeux modernes qu’il a initiés, le baron Pierre de Coubertin (1863-1937) souhaitait mettre en lumière un idéal qui lui tenait à cœur: donner le meilleur de soi-même et s’efforcer d’atteindre l’excellence personnelle. «Plus vite, plus fort, plus haut!»: c’est un ami prêtre qui lui a inspiré cette devise; aussi le lien entre foi et performance n’est peut-être pas si saugrenu qu’il n’y paraît. Mais avant cela, intéressons-nous à quelques chiffres et tendances.

Explosion de muscles

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Si on observe la croissance du nombre d’inscrits dans des salles de sport en Suisse et en France ces dernières années, il semble bien que le baron de Coubertin a fait des disciples. Ainsi, depuis la crise du covid, la fréquentation des salles de fitness en France a progressé de 16%, selon une étude publiée à l’automne 2023 par le cabinet Deloitte conseil. En Suisse, cette tendance est similaire avec une progression de 11,7% du nombre d’inscrits dans des centres de remise en forme, rapporte l’étude The Swiss fitness industry 2023.

Cette mode de la performance physique et du dépassement de soi se retrouve dans différentes sphères de la société. C’est certes le cas avec l’essor des objets connectés – montres ou téléphones – calculant le nombre de calories dépensées, le nombre de pas, le rythme cardiaque ou le record de vitesse sur un tracé donné. Cela se traduit aussi par la multiplication par deux du nombre de courses de trail (course à pied d’endurance en montagne) en France, passant de 2500 en 2015 à près de 5000 en 2019. Et toutes ces performances et exploits à l’entraînement sont immortalisés sur Instagram ou enregistrés sur l’application sportive Strava, qui compte 100 millions d’utilisateurs dans le monde.

Des auto-entrepreneurs du corps

«Il y a une résurgence du bien-être, du soin donné au corps et à la performance physique. Cela s’est démocratisé et c’est très positif que les gens s’intéressent au corps et au sport. Cela peut faire beaucoup de bien à la santé physique comme mentale», analyse Christophe Martin, coach de dirigeants et préparateur mental pour athlètes de haut niveau. Cependant, «souvent dans le milieu sportif, la quête de performance prend le dessus sur la quête de sens», tempère celui qui est également pasteur itinérant. La pratique du sport d’endurance comme le trail ou l’ironman (le long format du triathlon) permet de devenir un «entrepreneur de soi-même: on gère son corps et son esprit à partir de notions de rendement, comme on gère une entreprise. L’idée, c’est d’accroître sa performance en employant des moyens rationnels», estime le philosophe du sport Raphaël Verchère, auteur de Philosophie du triathlon (éd. Du Volcan) dans un article dans Les Echos.

Si les raisons qui poussent à toujours vouloir se dépasser et repousser ses limites diffèrent d’une personne à l’autre, Christophe Martin note «un sentiment d’épanouissement; de se prouver qu’on est capable de réaliser un exploit; de se créer son propre référentiel de valeurs en comparaison avec d’autres personnes».

D’autres blessures après le sport

Et pour les sportifs en fin de carrière – quand la performance et les records ne sont plus accessibles –, la question du sens devient une priorité, assure le préparateur mental. «Souvent, après des sacrifices énormes aussi bien physiques, financiers, familiaux que de temps, lorsque l’athlète de haut niveau arrête sa carrière, il a le sentiment de vivre un désert. Les objectifs ne sont plus là et il n’a pas appris à observer le temps long.» Il s’agit d’un sentiment de dessèchement, de vide, qui peut se vivre même si l’on n’est pas sportif professionnel, glisse encore le coach. «Tu reviens aux fondamentaux que tes limites t’imposent. Pourquoi veux-tu être performant? Pour qui veux-tu être performant? Pour ton entreprise, ton club, ta fédération, tes amis, ton conjoint? Ta propre estime? De cette réflexion peut naître une quête spirituelle.»

Si tout le monde connaît la maxime des Jeux Olympiques «l’important c’est de participer!», peu en connaissent l’origine. Comme pour la devise, c’est un homme d’Eglise qui l’a inventée. Lors des Jeux Olympiques de Londres en 1908, l’évêque de Pennsylvanie Ethelbert Talbot avait utilisé cette formule pour calmer les tensions naissantes entre des athlètes américains et les arbitres anglais. Voici la phrase exacte qu’il avait formulée lors d’une messe: «Le plus important aux Jeux Olympiques n’est pas de gagner mais de participer, car l’important dans la vie ce n’est point le triomphe mais le combat; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu.»

En tant que croyant, Christophe Martin voit dans la recherche de performance physique et du dépassement de soi un lien évident avec la foi chrétienne: «La vie est un combat. Si on prend le temps d’y penser, notre vie est un combat perdu d’avance. Nous nous battons contre notre propre finitude, contre notre propre mort, mais la mort nous a déjà battus. En prenant de l’âge, la réalité nous rattrape. Nos cellules dépérissent, nos cheveux blanchissent. Nous perdons force, vivacité, agilité. Nous le savons tous, nous allons mourir un jour. La vie nous rappelle à une réalité dans laquelle personne ne peut être vainqueur sans Jésus-Christ. Je crois que la mort peut être battue, car elle a été battue par Jésus-Christ qui est mort et ressuscité. Si nous lui faisons confiance, il nous promet la vie éternelle.»

La «performance spirituelle», un paradoxe?

Pour le pasteur Emmanuel Maennlein, la notion de «performance» doit être mise en regard de la notion de «grâce». C’est-à-dire de se libérer la pression de la performance en acceptant le cadeau gratuit que Dieu nous propose, celui de le laisser entrer dans notre vie. «Avec Dieu, nous ne sommes pas jugés sur la performance, le poids soulevé, le nombre de points marqués ou le nombre de kilomètres parcourus. Non, lui qui est excellent dans tous les domaines nous accepte dans notre imperfection et sans monnaie d’échange.»

Pour autant, pas question de renoncer au dépassement de soi, assure Emmanuel Maennlein: «Quand Jésus a envoyé les personnes qui le suivaient en mission, ces derniers ont repoussé leurs limites, mais il leur a fait confiance. C’est cette notion qui est très importante. Dieu nous accorde sa confiance et nous permet d’accomplir des exploits. Si nous échouons, non seulement il ne nous tape pas dessus, mais il est là pour nous relever.»

Dans la quête de l’excellence physique, il y a cette idée de se définir soi-même, souligne Christophe Martin. «Alors que dans la foi, c’est l’accueil de Dieu, c’est son regard qui nous définit. Il nous montre qu’on n’a pas besoin de prouver pour être. Son regard dit que “c’est quand je suis faible que je suis fort” (texte tiré de la Bible, 2 Corinthiens 12, 10).
Face à notre condition limitée, Dieu dit à chacun: “Viens à moi tel que tu es.” Je n’ai rien à lui prouver, lui donner – si ce n’est lui confier – mes limites physiques, intellectuelles, limites d’amour et mes limites spirituelles. Parce que sans lui, sans son amour, nous sommes des êtres vides de sens.»

«Ensemble»

Si elle encourage à la performance, la devise des Jeux Olympiques citée en début d’article est incomplète. En effet, depuis les dernières olympiades en 2021, le mot «ensemble» a été ajouté à la devise olympique, qui se lit désormais ainsi: «Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble». «La solidarité motive notre mission qui est de rendre le monde meilleur grâce au sport. Nous ne pouvons aller plus vite, nous ne pouvons viser plus haut, nous ne pouvons devenir plus forts que si nous faisons preuve de solidarité», expliquait alors Thomas Bach, le président du Comité international olympique, pour justifier cette modification.

Et si cette nouvelle devise n’était-elle pas aussi celle d’un cheminement, ensemble, main dans la main avec Dieu qui aime les humains et souhaite leur épanouissement et leur bien-être, sans attente de performances éphémères?

Quart d'heure pour l'essentiel

Article tiré du numéro Quart d’heure pour l’essentiel 2024

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