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Ecoles: les fêtes chrétiennes butent contre un manque d’intérêt

© Istockphoto
Dans les écoles romandes, la plupart des enseignants tout comme de nombreux élèves démontrent de moins en moins de culture générale concernant les fêtes chrétiennes. Jusqu’à renoncer à proposer des «dessins de Noël». Enquête.
Serge Carrel

«Avec l’évolution de la société actuelle, il est de plus en plus difficile de parler des fêtes chrétiennes à l’école.» Eliott enseigne dans le Jura bernois. Il a l’impression que «c’est devenu le sujet tabou du moment». Lorsqu’il considère son expérience de près de vingt ans dans l’école bernoise, il souligne que l’évocation des fêtes religieuses qui marquent notre calendrier dépend du contexte des écoles.

Dans une ville très pluriculturelle, il lui a paru souhaitable de renoncer à suggérer à des élèves de dessiner des «dessins de Noël» et à préférer l’appellation «dessins d’hiver». Les résistances émanaient plutôt d’élèves d’arrière-plan musulman, qui se disaient heurtés dans leur sensibilité religieuse et qui n’avaient aucune envie de faire quelque chose en lien avec une fête chrétienne.

Il y a une dizaine d’années, Eliott a changé d’établissement scolaire. La région dans laquelle il enseigne aujourd’hui est plus rurale. L’an dernier, les élèves ont interprété une crèche vivante à l’initiative des enseignants, avec même des chants chrétiens comme «Voici Noël». «Dans mon discours d’introduction à cet événement», explique-t-il, «j’ai essayé de tisser quelques parallèles entre Jésus, sa naissance et les élèves, en restant très historique. Donc tout dépend de la manière dont on aborde le sens de ces fêtes.»

Quizz pour mieux connaître le sens des fêtes

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Antoinette vit dans le canton de Vaud. Enseignante en langues à des élèves de quatorze à dix-huit ans, elle organise volontiers peu avant les vacances en lien avec des fêtes chrétiennes des quizz avec l’application Kahoot! A Noël ou Pâques, elle mélange les questions culturelles aux questions plus religieuses. Par exemple: «D’où vient la tradition des sapins de Noël?» ou «Où Jésus est-il né?» C’est l’occasion d’enseigner et de vérifier que ses élèves disposent d’un minimum de connaissances du sens des fêtes chrétiennes. Les résultats ne sont guère brillants; nombre d’élèves font preuve de peu de culture religieuse. «Tout comme ils en ont peu en matière historique», s’empresse-t-elle d’ajouter. «A mon sens, mes élèves font preuve de peu d’intérêt pour ce qui est en dehors de leur sphère d’intérêt immédiate.» L’enseignement de l’allemand ou de l’anglais lui permet encore d’évoquer les origines de la Saint-Nicolas ou le «Martin Luther King Day». «A l’occasion de cette journée spéciale aux Etats-Unis, j’aime bien faire écouter à mes élèves un extrait du fameux discours I have a dream et parler de ce pasteur baptiste.»

Elle constate que les enseignants disposent d’une certaine marge de manœuvre pour aborder certains thèmes à connotation religieuse. «Beaucoup n’ont pas de convictions dans ce domaine et se demandent bien pourquoi ils mettraient en avant des sujets qui ne font pas de sens pour eux.»

Des pans entiers de la culture inaccessibles

«La culture chrétienne est indispensable pour la compréhension de notre monde aujourd’hui.» Benjamin Roduit est conseiller national valaisan. A côté de son mandat à Berne, il enseigne toujours à 30% au Collège des Creusets à Sion, un collège dont il a été le directeur pendant une quinzaine d’années. «En tant que professeur de littérature, il y a certains poèmes de Charles Baudelaire que je ne peux plus aborder parce qu’il faut au moins quarante-cinq minutes pour les introduire.» Le conseiller national valaisan pense au Reniement de Saint Pierre des Fleurs du mal. «Ce texte, comme tous les poèmes de ce recueil, est sublime, mais si l’on ne bénéficie pas d’un minimum de culture chrétienne, on ne comprend plus les messages qui nous sont livrés à travers les âges. Et même notre propre langue renferme des expressions que l’on ne peut comprendre qu’avec un arrière-plan culturel chrétien.» En tant que professeur de lettres et d’histoire, Benjamin Roduit considère qu’il est du devoir des enseignants de transmettre des clés aux plus jeunes pour bien comprendre la culture d’aujourd’hui, afin qu’ils puissent se sentir à l’aise pour l’apprécier… ou la critiquer.

«Je ne suis ni prêtre, ni pasteur»

Chrétien convaincu, il aime rappeler néanmoins qu’il n’est ni prêtre, ni pasteur, mais enseignant. A ce titre, lorsque la compréhension d’un événement historique ou culturel l’exige, il n’hésitera pas à présenter le sens des fêtes chrétiennes. Mais comme il le fait par rapport à des idéologies comme le marxisme ou le libéralisme, sans laisser entrevoir de quel côté il se situe. «Dans le cadre d’un cours, je n’ai pas à laisser transparaître de manière explicite que ce soit ma foi, ma vie privée ou d’autres dimensions intimes qui relèvent de ma personne. Ce serait du prosélytisme et, en tant que recteur du Collège des Creusets, je n’aurais jamais accepté cela de la part d’un enseignant.»

Benjamin Roduit comprend que certains enseignants se montrent très réservés par rapport au rappel de la signification des fêtes chrétiennes, mais il considère qu’ils font «fausse route». En invoquant une forme de tolérance qui souhaiterait que l’on ne parle plus du sens des fêtes chrétiennes, ces enseignants font la part belle à des «milieux laïcisants voire athées, qui réclament la suppression de l’ensemble de ces fêtes et qui souhaiteraient les remplacer par des fêtes laïques.» Ce qui dans le contexte helvétique actuel, n’a pas lieu d’être!

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Les fêtes, ajout culturel dans les écoles

Dans les écoles, à l’occasion des fêtes de Pâques, il est possible de diffuser en classe un film sur Jésus qui est passé au cinéma. A Noël, il est possible d’installer une crèche dans sa classe et de chanter «Voici Noël» ou «Il est né le divin enfant». Il est même possible dans le canton de Vaud d’inviter un pasteur réformé ou un curé catholique en classe, moyennant une autorisation de la direction de l’établissement!

Voilà en substance ce que met en avant Nathalie Jaunin, directrice générale adjointe à la Direction générale de l’enseignement obligatoire du canton de Vaud. Cette spécialiste en pédagogie et chargée du Plan d’étude romand (PER) tempère toutefois: «Tout cela est possible si le film, la crèche ou les chants sont utilisés comme un objet d’étude, pour faire une analyse critique et montrer historiquement d’où viennent les personnages.»

Un programme construit autour des fêtes

Ce qu’il importe qu’élèves, parents et enseignants aient à l’esprit, c’est que l’école publique romande n’est pas le lieu du catéchisme et de l’approfondissement d’une foi particulière, mais le lieu de l’approfondissement de la connaissance du fait religieux. Pour connaître le sens des différentes fêtes religieuses, l’enseignement public romand s’est doté de différents matériels autour de tels événements. «Ce thème est un peu notre fil rouge sur l’ensemble de la scolarité obligatoire», explique Nathalie Jaunin. «Lorsqu’on vit ces fêtes, c’est là que cela prend sens et qu’il faut saisir ces opportunités pour en faire un objet d’étude culturelle.» C’est ainsi que les petits Romands commencent l’enseignement «Ethique et cultures religieuses» avec un matériel intitulé «Le monde en fêtes». En 6P (CM1), les élèves de dix ans se penchent sur «Trois religions en fêtes» et «Les traditions de Noël». Les 11-12 ans examinent ce que sont les «Fêtes religieuses et civiles». Durant les dernières années, les élèves sont au bénéfice d’un «Calendrier interreligieux» qui évoque les fêtes religieuses sur l’ensemble de la planète.

Elargir sur le monde

«Le principe», conclut Nathalie Jaunin, «c’est de partir chez les plus petits de ce qui leur est le plus proche, de ce qu’ils vivent avec leurs sentiments, puis d’élargir de plus en plus sur le monde, et d’ouvrir les élèves à partir de la 10P (4e) sur le monde entier et toutes les cultures.»

Quart d'heure pour l'essentiel

Article tiré du numéro Quart d’heure pour l’essentiel Pâques 2023

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