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Jésus, fils de réfugiés

© iStockphoto
Quels sont les héritages du christianisme dans notre pays? En voici sept exemples, non exhaustifs.

Je nʼaurais jamais pensé que cela mʼarriverait! Je ne suis quʼun homme banal, ouvrier du bâtiment. Avec mon épouse, nous étions tout à la joie de la naissance de notre premier enfant, un fils! Bien sûr, nous savions que nous vivions des temps troublés, que les grands de ce monde se battaient pour la possession de notre pays et que les ultra religieux se plaisaient à lancer des condamnations contre ceux qui ne se soumettaient pas à leurs lois. Mais la politique ne mʼintéressait pas et les excès religieux non plus. Ce que je demandais, cʼest quʼon me laisse exercer mon métier et mʼoccuper de ma famille.

Fuir en urgence
Cʼest une nuit que tout a basculé. Ma femme sʼétait enfin endormie après avoir nourri le petit. Je cherchais le sommeil quand soudain, jʼentendis un bruit. Un homme se glissa prudemment dans la pièce.
-Tu dors? me demanda-t-il.
Je ne lʼavais vu quʼune fois et je ne pensais pas le revoir. Jʼétais très étonné et passablement inquiet de son intrusion soudaine.
-Jʼai de mauvaises nouvelles, ta vie est en danger, ils en ont après toi, ta femme et ton fils.
-Mais qui, et pourquoi?
-Ne pose pas de questions, tu sais bien «qui», et tu sais bien quʼil nʼy a pas de réponse raisonnable au «pourquoi»! Tu es dans leur cible, cʼest tout ce que tu dois savoir. Je suis venu tʼavertir. Si tu veux sauver ta peau, pars tout de suite, cette nuit encore.
Cʼest comme ça que nous nous sommes retrouvés sur les routes de lʼexil! Nous sommes partis dans la nuit avec un maigre baluchon. Ma femme portait notre fils dans ses bras, elle marchait devant. Je guettais le moindre bruit, la plus petite lueur, terrorisé à lʼidée quʼils nous prennent en chasse, quʼils nous retrouvent. On a marché toute la nuit. A lʼaube, on sʼest cachés dans un bosquet qui nous offrait un maigre refuge. On a vu des soldats errer dans les collines toute la journée. Ils nous cherchaient. A la nuit tombée, on est repartis.

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Exil sans fin
Combien de jours, combien de nuits notre marche a-t-elle duré? Je ne le sais plus. Cʼétait comme une fuite sans fin, une course au ralenti avec pour seuls compagnons la peur, la faim et le froid.
Ma femme était épuisée. Elle se relevait à peine de ses couches et elle devait trouver en elle les forces nécessaires pour alimenter le petit. Je lui abandonnais la moitié de mes parts de nourriture, mais nos réserves étaient maigres. On volait par-ci par-là un peu de blé, quelques fruits oubliés, on sʼaventurait parfois jusquʼà une maison isolée pour mendier un peu de lait, quelques œufs. On récoltait davantage de coups de bâton que de nourriture. Cʼest que les gens avaient peur de nous, peur que notre malheur ne soit contagieux.

La traversée du désert
Un jour, nous sommes arrivés aux portes du désert. Nous avions rejoint un groupe de fugitifs qui cherchaient, comme nous, refuge de lʼautre côté des terres arides. Traverser le désert a été la pire épreuve de ma vie. Nous ne connaissions pas les points dʼeau ni les oasis. Nous lancer seuls sans aide dans le désert aurait été suicidaire, alors, il y avait les passeurs. Ils promettaient beaucoup et demandaient plus encore! Heureusement, jʼavais avec moi un peu dʼor. Je lʼai donné à lʼhomme. Il mʼa promis une traversée facile. Innocent que jʼétais, je ne
savais pas alors que je mettais ma vie, et celle de ma famille, entre ses mains. De chantages en humiliations de toutes sortes, il nous a conduits dans cet enfer minéral.
Le soleil qui brûle la peau au travers de nos pauvres haillons, la faim qui tord le ventre, la soif qui torture la gorge, la peur qui déchire le cœur; beaucoup dʼentre nous sont restés à jamais prisonniers de cet enfer.

Terrible terre dʼasile
Un jour se tenait devant nous une frange de verdure. Nous avions réussi, nous avions traversé le désert. Mais cʼest alors quʼune autre peur nous a saisis. Comment allions-nous entrer dans ce pays? Y serions-nous accueillis? De quoi allions-nous y vivre? Je rêvais dʼun refuge pour ma famille, je nʼai trouvé que méfiance, mépris et pire encore, indifférence. Pendant trois longues années, jʼai vécu dʼexpédients, travaillant comme un esclave à des tâches que les bêtes elles-mêmes auraient répugné à accomplir. Mes mains portent encore les traces de cette époque, mais cʼest dans mon cœur que se cachent à jamais les cicatrices terribles de lʼexil.

Fils de migrants
Aujourdʼhui, mon fils a grandi, il est un homme maintenant. Se souvient-il de ces années dʼexil, de ces premiers jours de sa vie qui ont fait de lui un migrant? Il regarde souvent vers le ciel et tient parfois des propos étranges. Il parle dʼun pays, dʼun Royaume que ni Marie sa mère, ni moi, Joseph, ne connaissons. Un jour que je lui contais le récit de notre exil, il me regarda droit dans les yeux et me dit: «Je me suis exilé de la maison de mon Père, jʼai quitté son amour pour venir vivre avec vous, marcher sur les chemins de vos souffrances, partager vos peines et vos peurs, être moi aussi victime de lʼinjustice et du mépris.» Je nʼai pas tout compris à ce quʼil tentait de me dire, mais quand il me regarde de cette façon-là, je sens, jusquʼau fond de mon âme, une présence qui me rassure et une tendresse qui me console.

Pierre-Yves Zwahlen

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