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Dieu… oui ou non ?

Retour du religieux, existence de Dieu, le théologien baptiste Louis Schweitzer et le philosophe athée André Comte-Sponville confrontent leurs points de vue.
Christian Willi

On parle beaucoup du retour du religieux. Observez-vous aussi cette réalité et si tel est le cas comment l’expliquez-vous?
André Comte-Sponville (A.C.-S.): Nous assistons à une crispation identitaire communautaire qui est d’abord, me semble-t-il, une réaction à la mondialisation. Cet effroi, ce repli identitaire, prennent souvent la forme d’un retour du religieux. C’est spectaculaire dans les pays musulmans. C’est assez net en Inde et cela semble aussi exister au Japon.

En France, en revanche, s’il y a parfois la tentation d’un repli, elle ne prend que très peu la forme du retour du religieux. De ce point de vue, le dernier sondage publié dans Le Monde des religions va au-delà de ce que je pensais. Ce sondage révèle grosso modo qu’une petite moité de Français ne se reconnaît dans aucune religion et une grosse moitié ne croit pas en Dieu (athées, agnostiques, ou sans
religion).

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Par contre, je crois qu’il y a dans notre pays un renouveau de la quête spirituelle que les grandes Églises ont du mal à satisfaire. Et, pour utiliser des termes de marketing, quand il y a une demande et pas d’offre satisfaisante, une nouvelle offre apparaît: ce sont les spiritualités orientales, le Nouvel Âge et les sectes.

Quelles nouvelles questions pose ce retour du spirituel ou du religieux à notre société?
Louis Schweitzer (L. S.): Le retour du religieux constitue une véritable question de société. Je trouve frappant que plusieurs livres sortent pour défendre l’athéisme et le vôtre en suscitera d’autres. Certaines émissions sur France Culture, par exemple, manifestent le retour d’un athéisme combatif qu’on croyait disparu.

La dimension religieuse réapparaît aujourd’hui très largement dans le débat. Un exemple récent: l’archevêque de Paris a pris une position sur le Téléthon. Je suis presque certain que cela aurait été différent il y a une dizaine d’années, non pas parce qu’il ne se serait pas senti le droit de le faire, mais parce que sa parole aurait eu moins d’écho.

A.C.-S.: En ce qui concerne la place de la religion dans notre société, c’est vrai qu’il y a vingt ou trente ans, Dieu semblait mort.

Et voilà qu’aujourd’hui, il y a ce retour du religieux, cette quête spirituelle. L’athéisme a perdu beaucoup de sa superbe. Un jour, un journaliste m’a demandé: «Est-ce qu’il y aura encore des athées dans cinquante ans?». Je lui ai répondu: «Oui, bien sûr, mais votre question me surprend, parce que quand j’étais jeune, on se demandait plutôt: “Y aura-t-il encore des croyants dans cinquante ans?”»

Vous considérez tous deux que la spiritualité est importante. Qu’est-ce qui distingue votre compréhension de la spiritualité?
L. S.: La différence entre nos deux spiritualités, c’est Dieu! La spiritualité chrétienne est d’abord une rencontre avec quelqu’un. Qu’elle prenne une forme mystique ou plus modérée, elle introduit toujours dans une vie nouvelle.

Il y a là à la fois le sentiment que je suis complètement pécheur et complètement accueilli. Dieu n’est plus une espérance mais une présence.

A. C.-S.: Qu’est-ce que la spiritualité? En un sens général, c’est bien sûr la vie de l’esprit. Mais en un sens plus précis, c’est la vie de l’esprit dans son rapport à l’infini, à l’éternité, à l’absolu.

Il m’est arrivé d’avoir parfois cet état modifié de conscience, d’expérience mystique. Ces expériences d’éternité ont été rares et brèves, mais tellement intenses qu’elles ont transformé définitivement ma vie. Cependant, cet absolu dans lequel j’ai eu le sentiment de baigner, ce n’était pas celui d’une rencontre du Tout Autre, une transcendance. C’était plutôt une immersion dans le tout même. Ce n’était pas la rencontre d’un Amour, mais plutôt la présence en moi d’un amour pour tout. C’est pourquoi cette mystique n’est en rien religieuse.

L. S.: Mais beaucoup de gens en Occident qui ont eu votre expérience ne se diraient pas athées. Même si cette expérience ne débouche en rien sur une relation à Dieu, ils parleront aussi d’un amour, d’une personne et d’une rencontre, d’un Tout, d’un Absolu qui les empêcheront de se considérer comme incroyants.

André Comte-Sponville affirme que si Dieu existait,il se montrerait. Louis Schweizer, pourquoi est-ce que Dieu se cache?
L. S.: Il y a sans doute plusieurs raisons, dont peut-être le respect de notre liberté. Mais Dieu se cache et se révèle à la fois. Pascal disait qu’il y a assez de lumière pour ceux qui désirent voir et d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. À travers toute l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu la foi dans l’existence d’un dieu ou d’une divinité.

La différence se situe dans l’attitude intérieure de la personne, si celle-ci est ouverte ou non à Dieu. Dans certains cas, Dieu s’impose, comme pour St Paul sur le chemin de Damas. Dans d’autres cas, il peut y avoir une expérience spirituelle très forte, mais qui ne débouche pas sur Dieu.

Il y a une très belle parole dans l’Apocalypse (3,20) qui dit: «Voici, je me tiens à la porte et je frappe; celui qui entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je souperai avec lui». On peut dire que Dieu se cache, mais on peut aussi dire qu’il frappe à la porte. Pour toutes sortes de raisons, on peut ouvrir ou pas.

Pourquoi la question de l’existence de Dieu est-elle récurrente?
L. S.: En tant que croyant, je pense que c’est parce que Dieu est aussi présent, en creux, en chaque être humain. Il me semble que l’homme est fait pour Dieu. Même dans des civilisations qui sont théoriquement sans dieu, on réinvente la divinité. Cela restera toujours une question universelle à laquelle on peut répondre de diverses manières.

A. C.-S.: Il faut aussi prendre en compte la donnée métaphysique qui, dans sa plus grande question, s’interroge sur l’être: pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Au cœur de l’être, il y a une espèce d’absence, qui est le fait que l’être est incapable de répondre à la question de son origine. Cette incapacité laisse la place pour plusieurs réponses, dont l’une s’appelle Dieu. L’autre, c’est l’histoire de la métaphysique.

L. S.: Je suis d’accord avec vous sur l’importance de cette question, mais suis gêné sur un point: j’ai l’impression qu’en vous affirmant athée, vous fermez la question. Pourquoi ne pas la garder complètement ouverte, même sans lui donner «Dieu» comme réponse ? Pourquoi ne pas accepter que le mystère de l’être demeure un mystère?

A. C.-S.: Je laisse foncièrement la question ouverte. En tant qu’athée non dogmatique, je dis qu’il n’est pas question de savoir, mais de croyance. Je crois que l’être est mystérieux, car il est inexplicable. Je me considère comme athée car je refuse d’appeler «Dieu» ce mystère-là.

Louis Schweitzer, qu’est-ce qui pourrait faire de vous un athée?
L. S. : Je ne sais pas. Je suis croyant et Dieu s’impose à moi. Mais il est juste aussi de dire que, pour celui qui réfléchit, la foi est toujours conquise sur le doute, qui reste un moteur de
l’approfondissement.

André Comte-Sponville, qu’est-ce qui pourrait faire de vous un croyant?
A. C.-S.: Dieu! Et lui seul. Si vous me demandez: «Dieu existe-t-il?», je suis obligé, par honnêteté intellectuelle, de vous répondre: «Je n’en sais rien!». Et comme je n’ai pas ce savoir, je suis ouvert à une réfutation, à une preuve, à une expérience. Mais être ouvert au mystère, ce n’est pas avoir la foi!

(Interview: cw)


Je ne crois pas/Je crois

André Comte-Sponville: Je ne crois pas
Si je suis athée, c’est tout d’abord en raison de l’absence de preuves de l’existence de Dieu. Ensuite, de la faiblesse des expériences: pourquoi croirais-je en un Dieu dont je n’ai aucune expérience vérifiable?

Ensuite, il y a la raison de l’incompréhension: croire en Dieu revient toujours à expliquer ce que l’on ne comprend pas (l’être, le monde, la vie, la conscience) par quelque chose que l’on comprend encore moins: Dieu.

De plus, il y a le problème de l’existence du mal et de sa démesure. Il y a trop d’horreur, d’in-justice, de souffrance, de malheur dans ce monde, pour que je puisse croire qu’il a été créé par un Dieu tout-puissant et infiniment bon.

Et puis, intervient le motif de la médiocrité de l’homme: je n’ai pas une assez haute idée de l’humanité en général et de moi-même en particulier pour imaginer qu’un Dieu nous ait créé.

Enfin, ma dernière raison de ne pas croire en Dieu, c’est que je préfèrerais qu’il existe, car il correspond à mes désirs les plus forts. Ce qu’on désire plus que tout, c’est ne pas mourir, retrouver les êtres chers que nous avons perdu, que la justice et la paix l’emportent et, finalement, être aimé. La religion chrétienne répond en tous points à ces aspirations.

Que demander de mieux ou de plus? Rien! Mais justement, j’ai tout lieu de penser qu’une croyance qui correspond à ce point à mes désirs les plus forts a été inventée pour les satisfaire. Elle rentre dans la logique de ce que Freud appelle une «illusion», c’est-à-dire, une croyance dérivée des désirs humains. Se faire des illusions, c’est croire que quelque chose est vrai parce qu’on le désire très fort. Dieu est tellement désirable que j’ai du mal à y croire! C’est trop beau pour être vrai. Le réel ne m’a pas habitué à satisfaire à ce point mes espérances les plus folles.

Louis Schweitzer: Je crois
Il y a deux éléments qui me conduisent à la foi en Dieu. Le premier, c’est le mystère de l’être, cette question: «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?». Elle n’aboutit pas pour moi à la conviction que Dieu existe, mais provoque une véritable interrogation.

Le deuxième élément, c’est, comme pour la plupart des chrétiens aujourd’hui, la rencontre du Christ. C’est la rencontre avec Jésus qui fait qu’ensuite, parce qu’on croit en lui, on adhère à son enseignement, et donc on croit en Dieu.

C’est actuellement la manière la plus courante pour un non-croyant d’entrer dans la foi.

Je ne crois pas fondamentalement à cause des preuves de l’existence de Dieu. Je crois qu’effectivement elles peuvent avoir de l’intérêt pour le croyant a posteriori, pour stimuler sa réflexion et l’empêcher de croire qu’il n’y pas d’entente possible entre sa raison et sa foi, mais elles ne sont pas convaincantes en elles-mêmes.

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