La reconnaissance est-elle un simple effet de mode?

Ces dernières années, la gratitude a quitté les pages des livres de développement personnel pour envahir les réseaux sociaux. Sur TikTok, les hashtags #grateful (5,7 millions) et #gratitude (3,5 millions) cartonnent. Sur Instagram, la #gratitudeattitude se retrouve dans 1,6 million de publications, tandis que 5,6 millions d’internautes prônent un cœur reconnaissant (#gratefulheart) pour leur famille, pour leur santé et pour des plaisirs simples de la vie: un bon café, un sourire inattendu, un coucher de soleil. Mais derrière ce qui pourrait sembler être une simple mode – ces pages de «journaux de gratitude» noiricies – se cache en réalité une pratique vertueuse et ancienne, voire spirituelle.
Un véritable lifestyle
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Pour Florence Servan-Schreiber, journaliste et autrice, «la gratitude, c’est lorsqu’un événement plaisant se produit et que nous avons l’élan de nous arrêter pour dire “merci”. C’est reconnaître que quelque chose d’extérieur nous touche et nous transforme.» Dans un podcast enregistré à la clinique Buchinger-Wilhelmi, celle-ci compare l’apprentissage de la gratitude à celui d’une langue étrangère. Cela ne va pas de soi: l’humain est naturellement porté vers la négativité.
«On peut s’entraîner à percevoir davantage les intentions positives et les gestes bienveillants envers nous», abonde la psychologue clinicienne Rebecca Shankland, invitée sur les ondes de la radio AirZen. Pour y parvenir, une pratique simple a émergé: le journal de gratitude. L’idée? Noter chaque jour jusqu’à cinq choses pour lesquelles nous sommes reconnaissants: une personne qui nous a souri, une place laissée dans les transports en commun, un coucher de soleil, de la gratitude envers la vie, la nature. «Ce rituel affine notre attention à ce qui est bon et juste et contrebalance notre tendance naturelle à ruminer ce qui va mal. Alors qu’on a tendance à ressasser une interaction qui s’est mal passée ou un e-mail qui nous a blessés, écrire dans un journal de gratitude le soir facilite l’endormissement.»
La gratitude comme condition du vivre-ensemble
La redécouverte de la gratitude semble être une tendance de fond. Même des penseurs comme Jacques Attali s’y intéressent. En effet, dans son dernier livre, Philosophie de la gratitude (éd. Les Grands Mots – Autrement), l’écrivain, économiste et conseiller politique affirme que cette vertu va bien au-delà de la simple politesse: «Elle est une force philosophique, sociale et politique.»
Selon lui, on ne peut forcer à dire merci, sans quoi la gratitude devient une dette ou un carcan. «On regrettera toujours de ne pas avoir été assez reconnaissant auprès de ceux qui nous ont rendu d’immenses services. On regrettera aussi d’avoir été trop reconnaissant auprès de ceux pour qui notre reconnaissance, notre gratitude, aura constitué un moyen de nous tirer par les pieds vers le bas ou vers le passé», assure Jacques Attali sur la RTBF.
Celui-ci encourage également à développer une gratitude envers la nature. «On est dans une période absolument charnière où la nature se plaint de notre ingratitude. Elle s’en plaint, elle manifeste cette plainte par les changements climatiques, par les dérèglements, par la chaleur, par la tempête. Elle gronde. La nature nous dit qu’elle nous en veut d’être ingrats, et que c’est à nous de retrouver cette gratitude.»
La reconnaissance, c’est l’affaire de deux personnes
«A travers cette mode bienfaisante de la gratitude, une question émerge: à qui disons-nous merci? A l’univers? A la vie? A la nature? A nos parents? A Dieu?», interroge le compositeur chrétien Sylvain Freymond. «Et si, derrière cette merveilleuse mécanique du monde, il y avait Dieu, un grand horloger, un ingénieur divin qui a tout ordonné avec sagesse et amour? Ne pourrions-nous pas alors entrer en dialogue avec Lui?»
Sylvain Freymond a fait de la gratitude un pilier de sa foi. Le dernier chant de son album «Reconnaissance» s’intitule «Soyons reconnaissants». Les paroles proclament ceci: «Soyons reconnaissants / Il a tout créé. Soyons reconnaissants / Il nous a tout donné. / Soyons reconnaissants / En Lui nous sommes aimés. / Disons merci, / Pour notre vie.» Pour le compositeur, la gratitude est une «porte vers une relation avec Dieu». Elle fait prendre conscience que tout – la vie, la nature, les relations, le travail, les saisons – vient de Dieu. Elle exprime une dépendance et une confiance: «Dire merci à Dieu, c’est croire qu’Il prend soin de nous, même quand tout va mal.»
On apprend aux enfants à dire «merci» lorsqu’on leur fait un cadeau, rappelle Sylvain Freymond. «Mais nous-mêmes, savons-nous dire merci à Dieu, simplement pour ce que nous sommes et ce que nous recevons chaque jour?» Il évoque un épisode marquant de la vie de Jésus, dont le récit se trouve dans le Nouveau Testament, la deuxième partie de la Bible (Luc, chapitre 17): la guérison des dix lépreux. «Dix lépreux sont guéris physiquement par Jésus, mais un seul revient pour lui dire merci. Jésus demande alors: “Où sont les neuf autres?”» Ce texte révèle que le miracle ne suffit pas à reconnaître le besoin du divin: c’est la gratitude qui ouvre à la vraie rencontre avec Jésus. Le lépreux qui revient, c’est celui qui comprend. Il reçoit une guérison physique et entre en relation avec Jésus-Christ, celui qui a guéri son cœur et sauvé son âme.
Pour Sylvain Freymond, la gratitude chrétienne ne se limite pas aux bienfaits du quotidien: elle trouve son sommet avec la mort de Jésus sur la Croix, il y a bientôt 2000 ans. «Jésus, en donnant sa vie par amour pour son Dieu son Père et pour tous les hommes, a offert le plus grand des dons.» Il permet une réconciliation entre un Dieu à l’origine de toutes choses et des hommes ingrats. «Etre chrétien, c’est vivre dans la reconnaissance de ce salut offert gratuitement. La gratitude – accepter et remercier Jésus pour son acte d’amour – devient alors un moyen de salut, une clé de réconciliation avec Dieu et pas simplement un bon réflexe», déclare le compositeur.
Tenir un journal de gratitude peut alors devenir véritable un acte de foi, souligne le chanteur. «En y notant ce que nous recevons chaque jour, nous nous souvenons de l’action de Dieu dans nos vies, même dans les saisons les plus arides. C’est une manière de relire notre histoire à la lumière de l’amour de Dieu.» Et vous, à qui dites-vous merci aujourd’hui? Peut-être est-il temps d’ouvrir un journal, un carnet… ou simplement votre cœur.
David Métreau

Article tiré du numéro Quart d’heure pour l’essentiel 2025
