Kim Phuc: «Le pardon m’a permis de survivre»
Des générations entières se souviennent de la photo d’une petite fille courant, nue, pour échapper aux bombardements de Napalm lors de la tristement célèbre Guerre du Vietnam. Nous sommes en 1972. La photo a fait le tour du monde. Elle a même offert le prix Pulitzer à son auteur, Nick Ut. Mais combien connaissent l’histoire derrière la photo, celle de Kim Phuc, une petite fille de neuf ans à l’époque des faits?
La «petite fille de la photo» doit sa survie au sang-froid du photographe, lequel l’a immédiatement emmenée à l’hôpital après avoir pris le fameux cliché. Laissée pour morte à la morgue, elle est retrouvée trois jours plus tard par ses parents partis à sa recherche. Lorsqu’ils découvrent leur fille, elle respire encore. Kim Phuc passera seize mois, couchée, pour se remettre des graves brûlures qui recouvrent une grande partie de son corps.
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«Personne ne va jamais m’aimer»
Ce n’est d’ailleurs qu’à sa sortie d’hôpital que la jeune Vietnamienne découvre la photo qui l’a rendue célèbre. «Je l’ai haïe et j’ai eu honte, ce d’autant plus que mes frères et cousins présents sur la photo avaient encore leurs vêtements», confie-t-elle aujourd’hui. «Mais mon rapport à ce cliché a changé lorsque j’ai donné naissance à mon premier enfant, en 1994. Je regardais sans cesse cette petite fille en détresse que j’avais été. Puis je me suis dit: il me faut absolument faire quelque chose pour protéger mon bébé et tous les enfants du monde afin qu’ils n’aient pas à souffrir de la même façon. Du coup, cette photo est devenue une force puissante pour la paix.»
Durant son adolescence, c’était tout autre chose. Kim Phuc a longtemps eu l’impression que les gens n’avaient d’yeux que pour ses cicatrices. «Je faisais de terribles cauchemars, avec le sentiment que je ne pourrais jamais être aimée. Ce n’est plus le cas, mais la douleur reste très vive; un exemple, je ne peux toujours pas me gratter.»
Le régime l’exploite pour sa propagande
A l’âge de dix-neuf ans, Kim Phuc se lance dans des études de médecine. Le régime vietnamien découvre que son histoire peut servir à la propagande anti-occidentale et l’oblige à sans cesse s’absenter de ses cours pour divers interviews et reportages, au point où elle doit mettre un terme prématuré à ses études. Kim Phuc est révoltée.
Heureusement pour elle, elle réussit ensuite à se faire envoyer à Cuba pour poursuivre ses études en pharmacologie.
Durant cette période, elle en veut à beaucoup de monde. Aux autorités d’abord, lesquelles l’empêchent d’accomplir son rêve. Aux militaires, ensuite, qui ont marqué son corps à tout jamais et dont les souffrances rappellent les méfaits au quotidien. La liste de ses «ennemis» est longue. Au point où elle pense même brièvement à mettre fin à ses jours.
J’ai choisi de pardonner
A cette époque, en pleine quête de sens, elle tombe sur une Bible dans une bibliothèque de Saigon. Elevée dans le caodaïsme, un mélange des grandes religions propre au Vietnam, elle est rapidement saisie par le récit d’amour et de pardon qu’elle découvre. Elle s’interroge sur la haine qu’elle voue à tant de personnes. «L’appel au pardon de la Bible m’interpellait. Un jour, j’ai décidé de dresser une liste des gens à qui j’en voulais. Pour être honnête, je souhaitais la mort de tous ceux qui avaient causé mes blessures.»
Un jour pourtant, je me suis mise à prier, à demander à Dieu la force de pouvoir leur pardonner. J’ai prié chaque jour. Ce n’est pas facile de pardonner! Plus les jours passaient, plus ma prière a porté ses fruits. En effet, j’ai réalisé que ma haine diminuait. Je me suis alors mise à tenir une seconde liste, où je notais les personnes auxquelles j’ai pu pardonner. La longueur des listes s’est inversée.»
Kim Phuc ne pensait jamais pouvoir être aimée par un homme. Elle trouve l’amour à Cuba, avec un compatriote. Les amoureux sont partis en voyage de noces dans le seul pays possible pour ces ressortissants d’un pays communiste, la Russie. Lors du trajet de retour, alors que l’avion se posait au Canada pour faire le plein de kérosène, elle décide de ne pas poursuivre le voyage et de «déserter» avec son mari.
Ambassadeur de la paix et de la réconciliation
Kim Phuc n’est toujours pas la bienvenue dans son pays natal. Mais elle parcourt le monde pour raconter son histoire et témoigner de la foi en ce Christ qui lui a permis de pardonner. Et elle prône à qui veut l’entendre la paix et la réconciliation. Elle a été nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco.
En 1996, elle s’est même adressée aux Vétérans de la Guerre du Vietnam réunis à Washington. L’homme qui a donné l’ordre de lancer les bombardements sur son village natal lui a fait remettre une lettre, lui proposant de la rencontrer. Au cours d’un tête-à-tête qui a duré trois heures, la victime a pu accorder son pardon à l’un de ses bourreaux. L’image qui la hantait est devenue une force puissante pour la paix.▪
Christian Willi