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Distants mais attachés aux valeurs chrétiennes

© istockphoto
La population se dit majoritairement attachée aux fêtes et valeurs chrétiennes. Pourtant, seule une minorité déclare se sentir «bien et chez elle» dans une communauté religieuse. Résultats et analyse dʼun sondage exclusif.
David Métreau

Noël et sa féerie, Pâques et ses processions, lʼAscension et la Pentecôte, les chiffres sont flagrants: six Suisses sur sept souhaitent le maintien des fêtes chrétiennes quand trois sur quatre affirment que les valeurs chrétiennes font partie des valeurs suisses. A lʼinverse, ceux qui pensent quʼil ne faut pas maintenir les quatre principales fêtes chrétiennes sont ultra-minoritaires et représentent moins de 6% des personnes interrogées.

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Une conception culturelle
Lʼattachement aux fêtes dʼorigine chrétienne est très élevé dans lʼensemble de la population, quel que soit lʼâge, le sexe ou le niveau de revenu. La seule différence notable se trouve chez ceux (très minoritaires) qui ne souhaitent pas maintenir les fêtes chrétiennes. Ils sont sept fois plus nombreux à partager cet opinion parmi les cadres, directeurs et dirigeants (7,2%) que chez les femmes et les hommes au foyer (1%).
«Lʼattachement à la question des jours fériés relève plus dʼune conception culturelle que religieuse», analyse Laurent Amiotte-Suchet, professeur et chargé de recherche en sociologie des religions à lʼuniversité de Lausanne. Le chercheur évoque notamment lʼaspect commercial des deux fêtes principales que sont Noël et Pâques avec les cadeaux et les chocolats, mais aussi les traditions et les repas familiaux. «Les valeurs renvoient, elles, à la question de lʼidentité», poursuit-il. «Même sʼil y a moins dʼattachement, elles restent importantes parce quʼelles touchent à lʼintime, à qui je suis.»
Cʼest sur cette question des valeurs, justement, quʼémergent les premières différences. Les 15-29 ans sont moins nombreux à affirmer que les valeurs chrétiennes font partie des valeurs suisses que les plus de 45 ans. Une proportion qui chute à un peu plus de la moitié chez les personnes en formation.

Chez soi, cʼest où?
Lʼattachement des Suisses aux fêtes et aux valeurs chrétiennes tranche avec le faible sentiment dʼappartenance aux communautés religieuses. A la question «Où vous sentez-vous bien et chez vous?», parmi les cinq propositions, la famille arrive en tête avec plus de 95% de réponses favorables, suivie de la Suisse avec 92% et des loisirs ou clubs de sport avec 77%. 69% des Suisses se sentent bien et chez eux au travail et seulement 24% dans leur communauté religieuse, catégorie qui arrive nettement dernière (voir graphique ci-dessous). «Les résultats de cette enquête sont à première vue surprenants», note Ralph Kunz, professeur de théologie pratique à lʼUniversité de Zurich. «Tout au moins, ce résultat donne raison à ceux qui disent que la Suisse et lʼEurope sont une île laïque dans un océan religieux.»

Un marqueur établi en Suisse
Pour le théologien, lʼapprobation des valeurs chrétiennes et des fêtes reste très élevée, notamment parmi les plus jeunes. «Peut-être est-ce une tendance. Certains pourraient y voir une réaction à lʼislamisme et le fruit dʼune islamophobie croissante. Quoiquʼil en soit, le christianisme est un marqueur bien établi en tant quʼidentité locale.»
Pour Laurent Amiotte-Suchet, la religion a deux facettes: institutionnelle et communautaire. «Dʼun point de vue institutionnel, les religions ont encore une place structurante en Suisse. Les Eglises jouent un rôle important dans certains cantons. Ce sont des actrices de la vie sociale, notamment dans le secteur de lʼentraide ou des structures socio-sanitaires», explique lʼuniversitaire. «Les individus ont néanmoins pris de la distance avec ces institutions qui leur donnent des dogmes et des valeurs.»
Sur lʼensemble du pays, moins dʼun quart des personnes interrogées disent se sentir bien et chez elles dans leur communauté religieuse. Ce chiffre chute à une personne sur huit en Suisse romande, soit plus de deux fois moins quʼen Suisse alémanique. «Il y a un attachement fort à un héritage chrétien en Suisse, y compris du point de vue politique. Et cela davantage en Suisse alémanique», avance Laurent Amiotte-Suchet. «La religion nʼa pas la même influence selon les cantons. Cʼest relatif à la pluralité du pays.»

Appartenance nécessaire?
Le désintérêt dʼune majorité de concitoyens pour les communautés relève de plusieurs éléments, analyse Ralph Kunz: «Appartenir à la communauté religieuse nʼest pas nécessaire. Elle peut être sollicitée, mais les offres sont si peu attrayantes que lʼon préfère rester seul. Oui pour les valeurs, non pour la communauté.» Ce paradoxe est pour Laurent Amiotte-Suchet le signe dʼune sécularisation: «Les hôpitaux, les écoles, les maisons de retraite et même les clubs de sport étaient gérés par les deux principaux groupes religieux que sont les catholiques et les protestants réformés. Cʼest de moins en moins le cas.» Le sociologue poursuit: «Combien de fois jʼai entendu des gens dire: “Je sais que je suis chrétien, mais ne me demandez pas si je suis catholique ou protestant.” Beaucoup de gens se sentent proches de certaines confessions mais refusent dʼêtre des paroissiens classiques.»
Emmanuel Maennlein, pasteur et conférencier, y voit quelque chose de très positif: «Contrairement à ce quʼon pourrait croire, beaucoup de personnes ne sont pas hostiles à la personne de Jésus.» Et dʼajouter que ce qui est compliqué «cʼest de faire le lien entre Jésus et lʼEglise».

Une majorité de distanciés
Selon lʼouvrage collectif dirigé par Jörg Stolz Religion et spiritualité à lʼère de lʼego (éd. Labor et Fides), qui classe la pratique religieuse des Suisses en quatre groupes, les distanciés représentent 57% de la population. Ces personnes ne sont pas étrangères aux conceptions religieuses ou spirituelles mais elles ne sont pas au centre de leur vie. «Les distanciés sont attachés à lʼhistoire et à lʼhéritage», déclare Laurent Amiotte-Suchet. «Cʼest à mon sens là que se joue la différence entre ceux qui approuvent les valeurs chrétiennes et ceux qui pratiquent une foi en communauté.»
Ralph Kunz voit dans cette mise à distance des Suisses avec les communautés religieuses un défi à relever pour celles-ci. «On pourrait également lire le fait que la moitié des personnes interrogées nʼont pas de foyer religieux comme une incitation à rendre leur propre communauté plus hospitalière.» Le pasteur Emmanuel Maennlein ajoute: «LʼEglise doit se réinventer et surtout travailler sa communication, et montrer autre chose, qui existe déjà, mais nʼest pas connu du grand public. Les gens sont très attachés aux fêtes chrétiennes, qui commémorent, à lʼorigine, des épisodes de la vie de Jésus.»

Signe qui ne trompe pas, à Noël, les Eglises se remplissent. Pasteur dʼune Eglise évangélique à Morges, Bob Davet explique le succès du brunch de Noël de sa communauté par une recherche de relations et dʼamour pour la centaine de personnes qui se joignent aux participants réguliers. «Je pense quʼelles sont intéressées à mettre un peu de spiritualité ou de valeurs chrétiennes dans leur vie.»
Le personnage de Jésus reste donc apprécié. Mais les personnes interrogées plébiscitent les cercles quʼils connaissent le mieux. Ainsi, les identités familiale, nationale, professionnelle ou de loisirs supplantent lʼidentité religieuse. Pour que cela change, libre à chacun dʼoser franchir la porte dʼune Eglise ou dʼun temple et découvrir ce qui sʼy vit.

David Métreau

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