Georges Haldas: ce que j’aime dans le foot, c’est l’imprévisible
Quel regard portez-vous sur le football actuel ?
Le football est comme de nombreuses activités humaines : soumis à la fascination de la puissance. Le sport n’y échappe pas. Le coureur veut courir plus vite que les autres, le boxeur mettre k.-o. son adversaire, le footballeur marquer le plus de buts possible. Lorsque vous jouez, c’est pour gagner, pour être le plus puissant.
Le football a aussi été contaminé par l’argent. On offre des salaires invraisemblables aux joueurs. C’est monstrueux par rapport aux écrasés, aux démunis ; c’est une offense au monde.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le football ?
Si j’ai pris le goût au football, ce n’est pas seulement pour le jeu. Quand j’étais enfant, mon père m’emmenait au match tous les dimanches. Nos conversations, cette présence paternelle constituaient une stimulation. Et le football a pris de l’importance dans ma vie. Mais au fond, ce qui comptait, c’était la relation avec mon père.
Autre élément, les discussions qui suivaient les matches. Avant l’époque de la télévision, les gens discutaient au bistrot jusqu’à n’en plus finir. Il ne suffit pas de vivre les choses, mais elles commencent à vivre en nous quand elles prennent vie en nous par la parole. Cette dernière relie et c’est peut-être là que l’on peut trouver une dimension religieuse à ce sport.
Le football est-il donc une religion?
La religion, c’est la relation intime niée ou avouée entre les créatures finies que nous sommes et l’instance que les uns appellent Dieu, que personnellement j’appelle la Source, créatrice de la vie ; selon les révélations de la Bible, c’est un Dieu d’amour et non de puissance.
L’étymologie de religion, c’est «ce qui relie». Et dans la poésie, comme dans la foi, comme dans la relation à cette Source, c’est la relation
qui compte avant tout.
Au football, c’est tout différent. Ce n’est pas la relation qui compte, c’est la domination. Les supporters n’aiment pas les joueurs, mais la victoire, facteur de puissance. Le jour où l’équipe perd, les supporters crachent sur les joueurs.
Mais pourquoi parle-t-on parfois de religion quand on parle de football ?
Dans mon livre La légende du football, j’observe que toute activité humaine comporte un caractère quasi-métaphysique que les gens ne voient pas.
Dans le football, deux choses me frappent. C’est premièrement la notion de l’imprévisible. Un grand club joue contre une petite équipe. Lorsque cette der-
nière gagne, c’est l’imprévisible qui se produit. Autre exemple, un grand joueur se retrouve devant la cage de but et tire par-dessus.
L’imprévisible dépasse la vie. Sous le primat de la science, nous avons pris l’habitude de tout prévoir. L’imprévisibilité est un des éléments fondamentaux de la vie.
Le véritable réalisme, c’est d’inclure l’imprévisible. Sans que le public ne s’en rende compte, celui-ci joue un grand rôle dans leur intérêt pour le football. Car malgré les pronostics, la petite équipe peut gagner. Il y a constamment des éléments qui orientent le jeu différemment de ce qui était prévu.
De même, il est évident que s’il y a un Dieu, il échappe à l’espace et au temps. Le Christ a dit : «Je suis avant que le monde ne fut». Il y a en nous, la mémoire l’atteste, une capacité de transcender le temps. Lors de la disparition d’un être cher, il continue à vivre en nous. La mémoire transcende la vie. Une étincelle d’éternité nous relie à l’espace-temps.
Comment expliquez-vous que l’entraîneur est souvent le fusible de l’équipe ?
L’entraîneur est adulé tant que son équipe gagne. Dès que les performances de l’équipe baissent, il devient le bouc émissaire de la quête de puissance. C’est là que l’on voit combien la puissance préside aux manifestations sportives. La puissance exclut. Dans ce contexte, il est donc naturel mais déplorable que l’on fasse porter le chapeau à l’entraîneur.
L’amour est le grand absent du sport, seul l’amour de la puissance compte.
Vous parlez beaucoup de puissance. Pourquoi exerce-t-elle un tel attrait ?
La puissance existe dans la nature. Celle du feu, de l’eau, de la terre. L’homme a toujours été impressionné par la puissance de la nature.
Mais le Christ récuse cette vie naturelle. Il pose un autre fondement. Là où la puissance sépare ou éloigne, l’amour relie.
Le Christ n’était-il pas un modèle d’entraîneur ?
Absolument pas. Car il ne cherche pas à mener les gens à la victoire. Il tente de les amener à leur destination ultime, à savoir la relation avec la Source créatrice du monde.
Votre foi fait de vous un défenseur du don de soi, à l’opposé de ce climat de toute-puissance du sport…
Ce qui me frappé chez le Christ, c’est que lors des quarante jours qu’il a passés dans le désert, il dit trois fois non à la puissance qui lui est proposée.
Au lieu de tuer l’autre, le Christ a inversé l’équation. Il est l’essence de l’anti-meurtre. Et il ne prêche pas seulement cette idée, mais il vit d’une souveraine pauvreté.
Une société qui vit dans l’enlisement du court terme, du succès économique et qui oublie les questions essentielles de la vie et de la mort, de la destination finale des hommes dont parlait le Christ, est malade. Et dans ce contexte, le football écope de la déviance de la société.
(interview cw)
Croire, c’est faire le choix de la confiance
S’il est impossible de prévoir, quel est le moteur de votre foi ?
C’est la confiance, qui a quelque chose de particulier que n’a pas la connaissance.
Lorsque le Christ est ressuscité, il ne dit pas à Marie de Magdala ce qu’il a vu dans le séjour des morts. Il n’est pas là pour nous apporter la connaissance. Là encore, la connaissance est une prise de pouvoir sur les choses.
Contrairement à la connaissance, la confiance n’a pas besoin de preuves. Elle est une prise de risque totale, un don de soi, une forme d’amour, au fait que nous aurons une vie après la mort. «Heureux sont ceux qui croiront sans voir». La grâce est imprévisible et implique la confiance.
Pensez-vous que l’éternité est accessible à chacun ?
Je ne suis pas un bigot, mais un homme libre. Le Christ appelle le séjour éternel le Royaume des Cieux. Ce qui me frappe, c’est qu’il dit que le Royaume de Cieux est déjà en vous. Cela signifie que nous vivons avec une pépite en nous. L’existence terrestre n’a pas de sens s’il n’y a pas de parcelle de non-espace-temps en nous.
Je ne suis pas sûr qu’après la vie, ce soit le néant. Qui peut me prouver qu’il y a le néant après la vie ? Pas plus que le contraire. Nous sommes déformés par la prévisibilité.
La confiance ne peut se choisir?
De nombreuses personnes aimeraient avoir confiance. Mais elle est donnée. C’est ça la grâce. Cela nous rend à notre dimension véritable.